Le sondage 26, 11 ans de fouilles

 

Année 1978. Henri Prades ouvre le dernier grand sondage à Lattes, le sondage 26 (Accord de fouille N° 1870 Ministère de la Culture et de la Communication le 16.04.1982) près du stade, sur un terrain communal (à Lattes, entre la rue des Roses et les routes de Fréjorgues et de Pérols). Fouillé pendant onze ans, il permet d'exhumer un quartier de la ville antique, et même d'atteindre le niveau chasséen. On y trouve une abondance de puits, dont un puits en bois surmonté d'une margelle de Dolium, un système canalisé permettant la circulation et des amphores formant un appareil de décantation.

 

Vue aérienne du sondage 26

Dans ce roude Prades, on trouve des vases polypodes, des poteries sigillées, de la Graufesenque, de l'Arrezzo, des poids de tisserand, toute sortes de céramiques, des plombs de filet, des hameçons, une tête dorée en bronze, des clous divers, des chaînes, des phallus portatifs (sans compter celui gravé sur une pierre dans une enceinte probablement réservée à Priapes), des faux, des dés à jouer, des couteaux, des poinçons, des anneaux, des clés, des jetons, des fibules, des haches polies, des aiguilles en os, des clochettes, des charnières en os, des pépins de raisins en quantité.

 

Bracelet en verre (I° siècle avant J.-C.)

Le groupe extrait un dolium et de grandes amphores de leur gangue de boue. Prades sort une jolie petite oeuvre d'art éphémère : une mosaïque faite de coquilles de télines restée en place sous les limons. Voici des intailles, voici Jupiter Hammon, un dauphin, un bateau, un silène vendangeur ; les lampes foisonnent.

 

Coupe graufesenque I°s av.

 

Le Groupe Archéologique Painlevé restaure les murs et les sols. Les pompes aspirent sans arrêt l'eau de la nappe phréatique. Les investigations descendent jusqu'au néolithique. De belles lamelles blondes s'amoncellent (il s'agît de silex taillés) ; un vase contenant un œuf pose une question non résolue à ce jour. Voici aussi une frise de soleils gravés sur un tesson, des flèches chasséennes, des haches de pierre de petite taille. En 1983, le G. A. P. découvre un squelette de fœtus soigneusement enterré dans l'angle d'une pièce dans le sondage 26 (la coutume d'enterrer les tout petits sous la maison familiale est courante chez de nombreux peuples de l'Antiquité). Le professeur Montoya étudie le corps. Il le passe à la radiographie, et on distingue sur les os, le tracé des artères vieux de plus de 2000 ans !

Année 1984, on exhume un squelette chasséen, une femme. Éric Crubezy l'examine.

Puis le G.A.P. trouve quatre puits, des tessons remarquables : ceux d'un vase gaulois "aux oiseaux", celui d'une tête de Calès en relief au fond d'un autre vase (celle-là même qui devient la médaille de Lattes), des objets en bois, des objets métalliques de toutes sortes, un sac tressé, du cuir... La famille des "Lattaranse" s'agrandît : après Astrapton l'utriculaire, et Marcianus l'éducator, voici le flûtiste Caïns Libanus, le boucher Doounoï, et une femme nommée Ouki, en rapport avec le graffitti "OUKI" gravé sur l'un des vases Etrusques trouvés dans le port de Lattara.

 

Monnaies antiques

 

Voici des photographies de documents archéologiques sortis du sondage 26, exposés au Musée archéologique Henri Prades à Lattes.  Elles ne représentent qu'une petite fraction des découvertes réalisées ici pendant les onze ans de fouille, et données au Musée de Lattes. 1 2 3

 

Lampes à huile gallo-romaine 1°s. ap.

 

Prades et Jean-Michel Marty bétonnent le pourtour du gisement, et installent des escaliers afin que les badauds et les écoliers descendent sans risque d'éboulements :

 

   

                                                                                           Aménagement du sondage 26

...  Des classes d'initiation viennent régulièrement fouiller ; Prades tient à faire vivre l'archéologie populaire, une archéologie qui soit ouverte à tous...

 

       

                                                         Une classe arrive...                        Visite d'une école de Pont de Claix (Isère)

 

       

                                                     Une autre encore...                         Instituteurs et lycéens stagiaires en Mars 1982

Chaque objet mis à jour cause une joie, une exaltation curieuse. Le "Trou de Prades" est aussi "le trou aux crapauds", comme il y en a tant dans le Midi, des batraciens bien contemporains, eux, et qui élisent domicile dans cet antre humide inespéré. Ils enchantent les douces nuits d'été, pour la plus grande joie des voisins (!)

Année 1988-89. Lattes est devenue un quartier résidentiel, voire dortoir.  On dit à Henri Prades que le sondage 26, seul chantier de fouilles amateur encore ouvert à Lattes, ("le trou de Prades") gêne les voisins, à cause des odeurs, des moustiques, les grenouilles et les herbes envahissantes (quels voisins? Ils n'en parlent pas à Prades, un bienfaiteur local œuvrant pour la municipalité lui fait la commission). Des pétitions circulent, paraît-il, pour demander sa fermeture. Mais en ce moment, Prades reste seul à Lattes pour lutter contre la nappe phréatique, contre les herbes et les mousses, contre les analphabêtes qui jettent des ordures à la gueule de leurs ancêtres. Les adhérants du G. A. P. ne peuvent l’aider : la période ne se prête guère aux congés et le travail occupe tout le monde. De plus, quelques-uns des anciens fouilleurs, découragés par les interdits faits aux amateurs ou espérant faire carrière, se rapprochent des officiels.

 

Cruche romaine I°s av.

Le Maire lui refuse à plusieurs reprises l'attribution d'un poste de Travail d'Utilité Collective pour un jeune et même du désherbant (la Mairie en distribue alors gratuitement à tout le monde). On se moque ouvertement de lui. Des petits blancs-becs le tutoient comme on fait avec les vieux ivrognes, ou les gamins : "Tu nous emmerdes !","C'est tes affaires !" ou bien pour les plus évolués "C'est au G. A. P. de nettoyer ce trou". Finalement, son petit fils Pascal nettoie le sondage 26 situé sur un terrain communal, ouvert en 1978 avec la bénédiction du Maire M. Vaillat, clôturé par la Ville et dont les découvertes splendides enrichissent le Musée municipal. Henri écrit une lettre à ce sujet en Mai 1989, à Monsieur le Rédacteur en Chef du quotidien Midi-Libre, en lui demandant de la publier.

Le texte révèle des faits intéressants : " Depuis quelque temps, des visiteurs intéressés par les découvertes archéologiques de Lattes et quelques habitants de quartier s'étonnent du mauvais entretient des fouilles situées près du terrain de football. On chuchote que des pétitions circuleraient sur ce mauvais entretien, la présence de moustiques et... le chant des grenouilles. Je tiens à préciser ce qui suit :

J'ai mis, avec le Groupe Painlevé, dix ans à dégager des structures antiques qui ont reçu plusieurs dizaines de milliers de visiteurs, en particuliers de très nombreux scolaires du district de Montpellier et de nombreux groupes associatifs. Nous avons installé une stratigraphie et une maquette à caractères pédagogiques qui fait l'unanimité, en partie avec l'aide des services techniques, M. le Maire ayant assuré la sécurité par l'installation de la clôture. La restauration a été assurée ainsi que l'entretien, grâce à la participation des enfants malades de Saint Pierre et des adolescents relevant de la Solidarité Départementale. Cette activité, qui avait le double mérite de tenir un chantier propre et d'améliorer la santé psychologique de jeunes en difficultés, a été interrompue par le comportement de l'Administration qui, en interdisant les fouilles, interdit la signature d'une convention avec les services intéressés. De plus la fouille de ce secteur reste et restera inachevée et les 26 amphores grecques qui sont au fond du trou risquent fort de ne jamais voir le Musée.

     

                 Amphore cassée                         Anneau en plomb               Clochettes, pelta, aiguilles,

                                                                                                                       appliques en bronze

La nappe d'eau qui, régulièrement, monte et descend, au gré des arrosages et des pompages est la seule à Lattes qui soit régulièrement visitée par les services de la démoustication : à la dernière visite, il n'y avait pas de larves. À ceux que le chant bucolique des grenouilles dérange, j'offre la clef des fouilles pour aller les pêcher, moi je n'en aurais pas le courage.

Tant que ma santé l'a permis, chacun a pu constater que l'entretien était assuré. Mon rôle est de révéler aux lattois leur patrimoine historique, pas de ramasser les bouteilles plastiques qu'on y jette régulièrement. La subvention de la Commune est très en dessous des sommes engagées pour la restauration ou la publicité (photographies, films, conférences, publications).

L'ADAL (Association pour la Défense de l'Archéologie en Languedoc), en dépit d'un budget de 180 millions de centimes, ne nous a jamais proposé son aide pour l'entretien de nos fouilles. Et l'Administration, encore moins, si l'on peut donner moins que zéro. Il est vrai que celle-ci, après avoir un moment montré le port médiéval de Lattes, a trouvé normal de le ré-enterrer au plus vite. On peut être assuré qu'elle ne protestera pas si la Mairie prend la décision de reboucher le trou."  Prades ne reçoit aucune réponse, et la brève ne paraît pas. Lui qui donnait tant de bonnes nouvelles à ces colonnes, et à leur demande !

 

Cruche attique 4°s. av.

 

Lattes a changé son fusil d’épaule : on ne doit plus parler d’archéologie à Lattes, mais de promotion immobilière. Quelques mois plus tard, dans la nuit qui suit la mort de Prades, le 11 Mai 1989, une voiture bouscule le grillage du sondage 26. Des ivrognes paraît-il ? (la famille Prades n’a jamais pu voir les rapports de police comportant les noms des chauffards, et en particulier celui du propriétaire de la voiture rouge en question...) On ne met pas longtemps à penser que par sécurité et hygiène il faut boucher ce trou ! Depuis, si vous passez au carrefour devant les arènes de Lattes, sur la gauche vous verrez un bout de gazon avec des pierres sensées représenter le tracé de la ville romaine et grecque, à trois ou quatre mètres en dessous. Ce gadget n'a aucun rapport avec la réalité. Les 26 amphores grecques qui sont au fond du trou n’ont jamais vu le Musée.

 

Prades et son chapeau...

 

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