Le port médiéval Jacques-coeur,
dernier combat de Henri Prades.

Mai 1988, on projette quelque chose d'impensable dans l'urbanisme à Lattes. Pour l'archéologie lattoise, on prépare un génocide. Henri Prades le sait, les élus locaux et les promoteurs savent qu'il sait : il s'agît du terrain du Mas d’Encivade au bord du fleuve Lez... Prades a déjà répertorié cette zone qu'il décrit comme particulièrement riche, car 9 civilisations s'y sont succédées jusqu'au Moyen-âge. Il peut devenir le petit clou qui fait perdre la bataille. Alors mot d'ordre général: Silence !

Un matin de printemps, un des petits-fils de Prades, Olivier coureur de Marathon, revient de l'entraînement quotidien, et annonce à Henri que les travaux de fouille sont commencés à la Porte Lombarde. Sans avertir Prades qui avait signalé le site, sans même l'inviter à assister au sondage effectué par la Direction des Antiquités ! Prades arrivé sur place est plutôt "mal reçu" par les étudiants-archéologues envoyés par la rue Salle l'Évêque (adresse de la D.A. de Montpellier) : on le traite de "dinosaure"; on s'exclame: "Il paraît qu'il n'a même pas sa licence, qu'est-ce qu'il fout là ce vieux, il va chopper froid !"- Énorme coup dur au coeur et à l'âme ! Mais à force d'insistance, Henri peut voir. La pelle mécanique et les jeunes fouilleurs mettent à jour un quai magnifique qui descend en escaliers de pierres taillées jusqu'au Lez médiéval. Il s'agît d'un vestige du passage lattois de Jacques Coeur, dont les installations portuaires et les entrepôts commerciaux remontaient le fleuve. On lui rit au nez quand il propose de laisser ouvert cette bribe du passé lattois : il y aura une esplanade avec un béton sérieux, du bitume compétent et des lampadaires productifs ! Et on rebouche vite, vite... Ce n'est qu'un avant goût de la dernière mort de Lattara !

Ce que vous ne verrez jamais à Lattes :

Photos des quais descendant en escaliers de pierres taillées jusqu'au Lez médiéval à la Porte Lombarde 

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Fouilles à la Porte Lombarde 

 

Quelques jours après, rebelote ! En passant près des Services Techniques, Henri s'aperçoit qu'on fouille le village médiéval. Là non plus, on ne le prévient pas. Quand il pose la question à une responsable (qui fera tout reboucher), elle rétorque : "C'est "Un tel" des Services Techniques qui a signalé la muraille. " Comment ce grand archéologue méconnu a-t-il su ? Devinez ! *

* La lettre du 26. 11. 1988 de Prades au Directeur des Antiquités prévient celui-ci de la destruction à Lattes de tombes gallo-romaines et de documents préhistoriques ; puis il lui demande l'autorisation de sauver la mémoire médiévale de Lattes et la Porte Lombarde. La lettre du 20. 11. 1988 de Prades au Maire de Lattes lui propose une demande de fouilles du Lattes médiéval, dont une partie est sous les services techniques. Il pense qu'une fouille de sauvetage suffirait pour enrichir le Musée.
Sans réponses ! À l'époque personne ne le soutient. Plus tard, fin 1995, pour faire oublier les dégâts autour de Port Ariane (Paissière, structure XIII°, etc. ) on parle de sauver le château médiéval sous le champ de M. Bozerand, un propriétaire de Lattes. Qui vivra verra... Et on a vu :

"Vous êtes à Lattara, premier port d'Europe Occidental fondé au IXe siècle avant notre ère par les Étrusques, emplacement stratégique pour le transit du commerce venu d'Orient. Vous êtes à Lattes, qui joua à partir du XIIe siècle un rôle primordial dans le développement de la ville de Montpellier et du Languedoc-Roussillon. Vous êtes proche de tout. De la ville. De la mer. Des grands axes routiers et aériens. Une situation géographique exceptionnelle qui privilégie la qualité de vie des entreprises et des lattois en particulier. Et le meilleur reste à venir avec la création d'un nouveau coeur de ville. Le coeur même de Lattes en parfaite harmonie avec le passé et le futur. Une oasis de douceur à l'architecture méditerranéenne : PORT ARIANE. Un quartier de 64 hectares, dont 10 de plan d'eau, lové dans une boucle du Lez. Une cité de plaisance destinée à l'habitat permanent où le bonheur coule de source. 1500 logements pouvant accueillir 5OOO personnes, agrémentés d'un centre culturel, d'une piscine, et autres animations aquatiques, d'un groupe scolaire, de commerces, d'une église et d'un port d'une capacité de 200 anneaux. Demain, vous vivrez à PORT ARIANE. Chaque matin, vous ouvrez les yeux sur un vaste paysage lacustre. Le sable des arènes côtoie les eaux du Lez. Vos enfants et vos affaires suivent leurs cours au bord de l'eau. La vie est douce au bord du Lez. "**

Le complexe immobilier Port Ariane s'implante sur les bords du Lez à la hauteur du Mas d'Encivade. Des vestiges du Lattes médiéval, des installations portuaires sont sacrifiées, comme le prouvent des photographies prises par des passants pendant les travaux. L'Historien Michel Mollat écrit d'après les documents historiques et les archives du Procureur Dauvet (XV° siècle) :"À Lattes, l'acquisition du Mas d'Encivade (par Jacques Coeur) offrait des possibilités d'entrepôts"***. L'importance du lieu est un secret de Polichinelle, un fait connu depuis longtemps par les historiens. Voilà ce qui distingue les archéologues amateurs des "officiels" : Henri se serait battu pour sauver le site médiéval. Cela n'empêche pas une autre publicité sur l'immeuble Michel Ange à Port Ariane d'écrire : "Avec Port Ariane, la commune de Lattes a renoué avec son histoire : au Moyen-âge, un port y existait déjà ! "

Une société d'économie mixte fait cette opération immobilière, la SEMPA 3, montée en 1989. Des promoteurs, des collectivités territoriales, une banque, la société Bas-Rhône-Languedoc en font partie. Son actionnaire le plus important est la Commune de Lattes, qui permet de souscrire des emprunts et de recevoir des fonds publics. Le Conseil Régional Languedoc-Roussillon, le Conseil Général de l'Hérault versent d'importantes subventions à la SEMPA 3. Le 1° Mai 1990, M. Vaillat, le Maire de Lattes, en devient le Président. Il quitte ce poste au début de l'année 1995 avant les élections municipales. Pour l'instant, seule la première tranche du projet est réalisée.  

Ce que vous ne verrez jamais à Lattes :

Photos des fondations d'une digue médiévale (digue Paissière) détruite à la pelleteuse et embarquée par camions ;
ces gravas remblaient des lotissements. Officiellement il n’y avait rien...

 

Digue Paissière (Cliquez sur l'image)

 

 

Pour construire Port Ariane, ils ont détruit des murs et des édifices, probablement du XVII° siècle, dont on n’a pu photographier que des fragments :

 

 

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** C'est le texte d'une luxueuse brochure intitulée "La vie est douce au bord du Lez" ventant Port Ariane construit sur la zone du Mas d'Encivade, et distribuée au Musée Archéologique, au syndicat d'initiative et à la Mairie de Lattes. Le Maire lie le port artificiel "Port Ariane" au port antique dans le Midi-Libre du 22. 01. 94, p. 23. [retour]

*** Michel Mollat Jacques Coeur ou l'esprit d'entreprise éd. Aubier, Février 1988, p. 113 : « L’acquisition du Mas d’Encivade par Jacques Coeur offrait des possibilités d’entrepôts De là les marchandises allaient et venaient en barque jusqu'à Aigues-Mortes... Jacques Coeur opposait une conception ouverte du commerce à l'étroitesse d’intérêts locaux (contre les magistrats montpelliérains), mais il préparait, à terme, l'hostilité envieuse d’un clan. ». Jacques Coeur était le grand Argentier du roi de France Charles VII. Le grand marchand et voyageur avait financé la guerre contre les anglais, et Charles VII, son débiteur, l'accusait à tort de meurtre et laissait les jaloux de Montpellier le dépouiller. [retour]

Journal du Procureur Dauvet au XV° siècle, qui instruisait le procès monté par des intrigants contre Jacques Coeur « Le droit que Jacques Coeur avoit en et sur le mas d’Ancivade a esté aujourd’uy délivré et décrecté par les commissaires sur le fait des criées et -adjudicacions des décrectz, à maistre Mahieu Savari et Michellét Taincturier pour le pris de 400 escus, comme plus offrans... Le droit que Jacques Coeurs àvoit ou mas d’Ancivade a, esté crié et subhasté, pour seconde foiz, comme appert par le procès verbal de maistre Pierres Granier. »

Gérard Heim L'étrange destin de Jacques Coeur 1967 : « Il se rendit au Mas d'Encivade et acheta sur le champ un terrain en bordure du port. Le lendemain, des ouvriers s'en emparaient et commençaient à y édifier des hangars imposants dont le négociant leur avait lui-même dessiné les plans. Puis il visita les quelques galées qui se trouvaient à l'ancre. »

Voici ce que l'historien Jacques Alphaud écrivait en 1954 dans "Le Triptyque Montpelliérain" : « Les fouilles qui vous révéleront le plus de trésors archéologiques se situent en deux endroits. L'ancien lieu-dit des Crémats dont le nom provient, non de l'emplacement où l'on brûlait les morts, mais du toponyme grec KEMASTRA désignant l'endroit où l'on entreposait les ancres et les cordages des navires, qui allait des fourches mobiles de l'entrée du port en mer libre jusqu’au château royal réédifié par Philippe-le-Bel. Ce redan stratégique et douanier s'appuyait sur la courbe fluviale jusqu'au mas EN CIVADE, formant un carré de cent mètres de côté où l'on entassait les marchandises saisies. Ce sont donc ces 800 mètres de rive droite où se regroupaient tous les entrepôts, les magasins des riches commerçants de Montpellier et de Montpellieret tous les gisements successifs depuis les ioniens jusqu’aux apports extraordinaires de Jacques Coeur, lequel avait fait du lieu, et pour de longues années après sa chute, le premier port de France" »

Sur Jacques Coeur, il faut consulter les fonds florentins de l'Archivo ospedale degli Innocenti à Florence...

Les travaux de port Ariane sur le Jacques Coeur débutent quelque semaines après la mort de Prades. Certaines fouilles de sauvetage pendant les travaux n'ont pas dépassé 1,50 mètre de profondeur, sous prétexte que le terrain est plein d'eau... Aujourd’hui en 1999, la D.R.A.C. veille aux fouilles légales à la vasque de Port Ariane : on y a trouvé un site chasséen de premier ordre... Et on avait exclu Prades ! Mais que de destructions depuis 1989 : vestiges du Moyen-âge, Romain, XI° siècle, Paissières, ports, ancre martelée... ! Le 10.06 1991, l’ADPL déposait un recours au Tribunal Administratif de Montpellier (Requête 34970) - requête rejetée ; nous demandions l'étude des parcelles 16 - 17 - 20, celles précisément où on vient de trouver du chasséen, parce qu'Henri Prades en avait signalé la probabilité dans ses écrits.. Ce n'est pas pour rien si nous préparons la publication de l'oeuvre écrite qu'il a laissée.

LE PORT JACQUES COEUR ET LA COUR DES COMPTES :

Jacques Coeur, l'immobiler, et la mort de Prades.

 

© Copyright 1999 ADPLL