HISTOIRE DU DROIT :

De l’archéologie laissée aux professionnels

 

La grande passion d'Henri Prades, l'archéologie, commence dans la Résistance, pendant la seconde Guerre mondiale. Prades est l’un des responsables du maquis Bir-Hakeim, qui travaille du Rocher des Vierges à l’Aigoual..

Dans ses notes, il écrit : "La première fois que j'ai ramassé quelque chose, c'était en plein maquis. J'avais ramassé par terre une drôle de monnaie. Je la fourre dans ma poche et je la montre à la fin de la guerre à l'historien MARUEJOL. Il me dit que c'est un as de Nîmes, une monnaie utilisée par les romains." Cette petite pièce oriente-t-elle son avenir d’archéologue ? Ou peut-être la découverte que beaucoup des monticules où se cachaient les Républicains pendant la guerre d'Espagne était des tumulis, lui donne-t-elle envie d'apprendre sur la terre ?

Prades constate que si la passion de sa vie lui vient pendant la guerre, l'organisation politique de l'archéologie naît dans la même période, autrefois matière négligeable pour riches illuminés en quête d'occupation. Philippe Pétain signe la loi réglementant les fouilles archéologiques le 27 Septembre 1941, texte validé par l'ordonnance N° 45-2092 du 13 Septembre 1945 (modifié par l'ordonnance du 23 Octobre 1959 et les deux décrets du 23 Avril 1964). Cette professionnalisation aux effets pervers affectera l'existence des archéologues amateurs...

Dans les années cinquante, des milliers de chercheurs amateurs travaillent dans les coins les plus reculés de France. Les uns sont franchement négatifs, d'autres de haut niveau scientifique. Le cénacle archéologique national rassemble des effectifs trop réduits pour suffire à tous les sites. Les Directeurs des Antiquités relèvent du décret du 13.9.1945, et les administrateurs ne sont pas encore formés à l'archéologie ; la "Société d’amateurs" locale reçoit donc toute la sollicitude des Directions. Dans de nombreux villages, des bonshommes fouinent dans le passé à la recherche de nos racines. Si on en parle avec une lueur amusée dans le regard, on les respecte, on les écoute, on suit leurs publications. Ils constituent souvent une mémoire vive du village, du canton.

Vers les années 1950-60, personne ne sait qu'il existe des Directeurs des Antiquités payés (très mal, il est vrai !). Mais tout le monde connaît un Combarnous à Clermont l’Hérault, un Bessière à Lodéve, un Prodier et un Émile Fradin à Glozel, un Théron à Mauguio, Pannoux aux Matelles... Qui sont-ils ? Pour l'essentiel, on trouve des médecins, des curés, des instituteurs, parfois des commerçants, des artisans, des paysans et des ouvriers, et même des retraités... Les curés connaissent bien leur environnement, tel par exemple, l'abbé Giry dans le Biterrois, bien connu pour son rôle essentiel dans le sauvetage de l'abbaye de Fontcaude. D'autres clercs sont de grands archéologues, tels l'abbé Moreux ou l'abbé Breuil. On doit l'oppidum de Fabrègue à un policier, des découvertes de la voie domitienne à un plombier, le village chasséen de Peyre à un colonel, le fanum de Colombières à un journaliste de Béziers... La catégorie des médecins, cependant, fournit la crème des archéologues.

Plus tard (années 1960), des universitaires se voient confier ou accaparent des découvertes sur le terrain, et ils monopolisent les formations d'archéologie. Le quadrillage administratif de l'archéologie en France, décrété par Vichy, transforme les sites archéologiques en gisements d'emplois réservés (aux chercheurs officiels). Sous prétexte de confier les fouilles à des gens "hautement qualifiés", aux méthodes "pointues", on interdit aux amateurs de travailler sur leurs découvertes. Les crédits misérables investis dans la Culture (1% du budget de l'État) sauvent un minimum de sites ; on doit le reste (le plus gros) à des amateurs. En France, il y a 4O Directions des Antiquités, 28 assistants, 40 chercheurs C. N. R. S. , plus 25 Agents Techniques - nous sommes en 1974 -.

L'archéologie amateur représente donc un potentiel vital pour la recherche en France - les proportions ont peu évoluées 30 ans après. En 1969, il y avait 460 autorisations de fouilles pour 600 demandes, 510 autorisations en 1970, et seulement 390 en 1974 (pour 1200 sondages et combien de sites perdus ?)

En 1970, le Conseil Supérieur Consultatif de la Recherche Archéologique met en pratique la "doctrine Duval" (grand patron du Conseil Supérieur de l'Archéologie, Monsieur Paul Marie Duval était alors Professeur au Collège de France), c'est à dire, la centralisation et le contrôle professionnalisé de toute activité archéologique sur le territoire. Il en résulte une confrontation entre les fouilleurs amateurs (bénévoles) écartés de leurs découvertes, et les archéologues officiels (salariés) cherchant la notoriété pour faire carrière.

Les archéologues amateurs constituent une dimension indispensable de la recherche. Généralement, leurs travaux commencent dans leur proche environnement, les lieux familiers de leur travail, de leurs occupations, voire de leur enfance. Leurs connaissances du terrain, leur acharnement d'autodidactes sans formation ni diplôme donnent à leur engagement la force et l'attachement de la passion. Mais quelle énergie, quelle patience faut-il pour mettre ces qualités en valeur...

Depuis dix-huit ans, Prades participe à la défense de "l'archéologie amateur" (il crée la Fédération Archéologique de l'Hérault dont il est le premier Président). En 1988, il rencontre Denis Fonquerle (l'Inventeur de l'Éphébe d'Agde). Lui aussi dénonce la grande misère des fouilleurs bénévoles, le peu de considération voire le mépris qu'on leur manifeste, sinon la suspicion intéressée qu'ils subissent. Denis Fonquerle décrit le travail magnifique de ces "sherpas" de l'archéologie. Mais à Girmou ou à Firmi comme à Lattes de nombreux découvreurs subissent le même pillage légal. Pendant des années, les amateurs réalisent le gros œuvre ; puis, les "spécialistes", attirés par le gisement de carrières que cela représente, les remercient avec ou sans médaille et les écartent de leurs découvertes.

En 1988, Prades écrit dans Midi Libre un article intitulé "Denis Fonquerle - Henri Prades, même combat", où il dit que les archéologues amateurs servent de "cochons truffiers" aux scientifiques officiels pour leur mâcher la découverte. Il cite l'Universitaire américain Charles Ebel, attaché à Lattes depuis plus de vingt ans : "Nous sommes revenus très déçus par notre dernier voyage en France. Nous constatons depuis quelque temps une tendance accélérée au scientisme, appuyé sur des computers et, au bout du compte, on ne démontre rien. (...) il ressort qu'une véritable injustice se développe et rien ne prouve que ce soit dans l'intérêt de la science..." Ils organisent une réunion de groupes amateurs à Lattes le 13 Février 1988, pour fonder la Fédération des Archéologues Bénévoles et Amateurs de France (F.A.B.A.F.) dont Denis Fonquerle devient le Président. Ils préparent un Livre Blanc sur l'Archéologie et la Nation.. Les 25 et 26 Février 1988, le rassemblement national des archéologues amateurs réunit les délégués de 1400 personnes et 12 départements au Cap d'Agde. Le Livre Blanc résume la situation stupéfiante de l'archéologie en France :

1°) L'état de dégradation de l'archéologie française, mensongèrement présentée en bonne santé.

2°) Les effets néfastes de la politique de condamnation progressive des archéologues amateurs accompagnée de la fermeture et l'abandon des chantiers, et de la destruction accélérée d'innombrables sites et du pillage de trésors sous-marins.

3°) Dans toutes les dictatures, l'administration s'en prend d'abord aux bénévoles avant de supprimer les libertés.

4°) Sous les efforts conjugués de groupes d'amateurs, le Ministre de la Culture et de la Communication demande au physicien Pierre Aigrain d'écrire un rapport sur l'archéologie en France. Quel y sera le sort des bénévoles ?

5°) La méthode de lutte préconisée par Prades consiste à respecter les interdictions de fouilles. Même en cas de préjudice pour le site ! Alors il faut porter plainte quelle que soit la qualité de l'auteur du saccage... Même contre l’administration centrale capable de déclarer incompétents des tribunaux rendant des jugements " incorrects " (arrivé en Rhône-Alpes dans les années 1980).

Depuis la mise à l’écart systématique des archéologues amateurs, on voit des " professionnels " demander 1,5 millions de francs lourds au Ministère de la Culture pour une fouille de sauvetage à Rodez... On voit négliger puis disparaître des sites entiers, et des documents essentiels passer dans des trafics clandestins, parce qu’il n’y a plus pour les défendre que des spécialistes autorisés... à défendre leur pré carré !

PROJET DE LOI

(proposé par le rapport Poignant - Pêcheur - Demoule) - années 1999-2000

Article 1 L'archéologie préventive, composante de la recherche archéologique, vise à permettre la détection, la sauvegarde et l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés d'aménagement du territoire. Elle a également pour objet la diffusion des résultats des recherches conduites à cet effet. L'État veille à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social.

Article 2 Les sondages, diagnostics et recherches d'archéologie préventive sont confiés à un établissement public national à caractère administratif, dénommé Centre National de Recherche Archéologique (CNRA). Toutefois, l'État peut faire appel, en tant que de besoin, à d'autres établissements et services de recherche. Il peut également solliciter le concours de services archéologiques de collectivités territoriales.

Article 3 Le CNRA exécute les recherches que l'État lui confie en vertu de l'article 2 de la présente loi et des articles 9 et 15 de la loi du 27 septembre 1941 portant réglementation des fouilles archéologiques. Il peut effectuer tous travaux de recherche archéologique en France et à l'étranger. Son financement est assuré notamment par les fonds de concours des personnes privées et publiques intéressées aux recherches qu'il conduit ainsi que par des subventions de l’État. Le conseil d'administration du CNRA est composé de représentants de l'État, de représentants du personnel et de personnalités qualifiées, désignées à raison de leur compétence scientifique ou choisies dans les secteurs concernés par l'archéologie préventive. Le conseil d'administration est assisté par un conseil scientifique. Les biens, droits et obligations de l'association dénommée " Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) " sont dévolus au CNRA. Les modalités d'organisation et de fonctionnement de l'établissement public sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

Article 4 Le premier alinéa de l'article 3 de la loi du 27 septembre 1941 portant réglementation des fouilles archéologiques est remplacé par les dispositions suivantes : "sous réserve des dispositions de l'article 2 de la loi n°... du ... 1999, les fouilles doivent être effectuées par celui qui a demandé et obtenu l'autorisation de les entreprendre et sous sa responsabilité".

La discussion parlementaire qui devait avoir lieu au printemps 1999, est reportée...Affaire à suivre. Si le Centre National de Recherche Archéologique entend solliciter le concours des services archéologiques des collectivités territoriales, organismes locaux impulsés depuis 20 ans par les Directeurs des Antiquités notamment dans le Sud-est français, il s’agît d’un compromis entre les services de l’État, les services régionaux des Antiquités, le CNRS, les Universités... Les archéologues amateurs, découvreurs de l’essentiel des sites en France, n’y figurent pas. Les corporations s’arrangent entre elles !

Certains travaux de terrain nécessitant de la main d’œuvre à bon marché - voire gratuite -, ces Messieurs ont la bonté d’associer des archéologues amateurs aux fouilles des sites que ceux-ci ont découverts. Il est désormais courant de parler d’" archéologues bénévoles ", c’est à dire appelés et dirigés par les professionnels, et qui se contentent d’être les petites mains du patrimoine archéologique. Imposture ! Si on maquille les archéologues amateurs en " archéologues bénévoles ", alors en toute logique, les archéologues professionnels deviendront les " archéologues salariés ".

De Juillet 1999 à Septembre 1999, la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Montpellier a effectué des fouilles de sauvetage sur le site de la deuxième tranche des travaux à Port Ariane à Lattes. C’était à la suite des années de dénonciation du carnage archéologique par les " amateurs " de l’association Henri Prades de Défense du Patrimoine Lattois que l’on a effectué des fouilles dignes de ce nom (nous sommes allés plusieurs fois à Paris dans les ministères concernés, et même plus loin encore...) ; nous avons par exemple, distribué ce tract en Août 1999 quand les autorités parlaient déjà de tout reboucher...

Personne d’autre n’a défendu le site de Lattes (M. Frèche, Président du District s’en est inquiété récemment par voie de presse). La Fédération Archéologique de l’Hérault, fondée par Henri Prades, phagocytées par des gens du C.N.R.S. - qui ne sont pas des amateurs -, n’a jamais défendu quoi que ce soit à Lattes. Mais elle a simplement exclu de ses rangs Danielle Prades, la fille de son fondateur !

La fouille du site au Mas d’Encivade est en passe de laisser la place aux pelleteuses des promoteurs immobiliers. on y a trouvé un site chasséen de premier ordre, au même niveau que celui du sondage 26, des vestiges romains, et d’autres documents importants... Tout ce dont Prades parle dans ses écrits.

Le Maire Lattes Michel Vaillat, prétend que cette campagne de fouilles a coûté 10 000 000 de francs (1526717,56 Euros) à la commune ; un responsable de la D.R.A.C. nous a assuré qu’il n’y en avait que pour 4 500 000 francs (687022,91 Euros). 4 500 000 francs (687022,91 Euros) ! Il y avait environ 10 chercheurs professionnels pendant deux mois et demi ; et qui parlent sans états d’âme de refermer le site (Que voulez-vous, c’est la loi !)

Si on divise la somme des subventions reçues par le Groupe Archéologique Painlevé d’Henri Prades en 21 ans, de sa fondation à la mort de Prades, par le nombre de mois on aboutit à 1500 francs (128 Euros) par mois. Et des dizaines de fouilleurs se sont battus pour défendre les sites et sauver ce qui pouvait l’être. Sans eux, il n’y aurait pas de Musée archéologique à Lattes, pas de C.N.R.S. à Lattes, et il n’y aurait pas de fouilles de sauvetage à l’Encivades !

Si l’organisation juridique de l’archéologie en France aboutit au coût de 4 500 000 francs (687 022, 91 Euros) pour deux mois et demi de fouilles parce qu’on a exclu l’archéologie amateur de la loi, elle est la fin légale de l’archéologie en France.

A.D.P.L.L.

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