DE LA PÊCHE EN ÉTANG
Lors des dernières fouilles des Terramares (Gisements pré et protohistoriques en bordure des étangs) melgoriens, certains chercheurs, constatant labsence dhameçons et la très faible présence de débris darêtes, ont affirmé que la consommation de poissons était inexistante et que les gens de la préhistoire ne pratiquaient pas la pêche. Cette erreur de jugement est due à une mauvaise connaissance du milieu des étangs. Les cabaniers et les pêcheurs, derniers prédateurs , forment un groupe humain extrêmement fermé, dont le mode de vie et les techniques de pêche nont, pour ainsi dire, pas évolué pendant des siècles. Ces techniques sont parvenues jusqu'a nous.
Lune delles,
particulièrement, par les matériaux employés, par sa présence
en dautres lieux, notamment en Italie, à lembouchure du Pô,
dans les étangs, a été utilisée très tôt
par lhomme, certainement dès le Néolithique : cest
la BORDIGUE. Mais, avant de décrire cette bordigue, précisons
quelques points :
- labsence de débris osseux de poissons sexplique facilement.
Une maxime fait loi chez les cabaniers : "Tout ce qui est à létang
retourne à létang". Ainsi roubines et canaux font
office dégout à ciel ouvert et reçoivent les eaux
sales et les ordures ménagères, ainsi les squelettes de poissons,
lorsqu ils ne servent pas a appâter crabes et crevettes, retournaient
immanquablement à leau.
- un hameçon a toujours été utilisé, surtout pour
la pêche aux anguilles: lhameçon droit, constitué
par un os ou une forte arête, percé et attaché en son milieu,
un morceau de viande piqué ,le maintenant parallèle à la
ligne. Cette ligne était calée à fond, à laide
dun galet encoché, dont lutilisation apparaît dès
le Cardial (6000-3700 avant JC). Languille avalait profondément
lappât; il suffisait de ramener la ligne pour que lhameçon
droit se mette en travers; languille se trouvait capturée.
Mais ce type de pêche individuelle navait quun rendement faible comparé aux bordigues. Ces dernières nont totalement disparu que dans les années cinquante. La dernière qui survit est celle de la bordigue de Maguelonne qui disparut au début du siècle.
Elle est constituée ce ceux murailles de roseaux enfoncées dans la vase et émergeant denviron deux mètres ; les roseaux sont reliés entre eux par des cordes dherbes, des pieux placés tout le long la consolidant. Ces deux murailles sont disposées en entonnoir, distantes, à lentrée, denviron 12 m, à lautre extrémité de 0,2 m; cette dernière ouverture donne accès à un enclos circulaire, construit lui aussi en roseaux, divisé en plusieurs chambres communiquant par une ouverture. Certaines fois, un gangui (filet à mailles étroites en forme de poche) est placé en arrière de lenclos ,formant une deuxième enceinte. le poisson suit les murailles, pénètre dans les chambres et se retrouve pris au piège.
Les dimensions des bordigues varient mais elles sont toujours placées dans des passes. Pour les plus récentes, un filet relie le départ de chaque muraille à la rive, permettant le passage des embarcations.
DÈS LA PREHISTOIRE
Pourquoi penser que la bordigue était une technique de pêche utilisée
dès la préhistoire ? À cela plusieurs raisons:
- elle nutilise que des roseaux (ou des branches) et des pieux en renfort,
matériaux courants dans la zone ou étaient situés les villages
préhistoriques.
- elle est très accessible puisque placée dans des roubines et
canaux assurant la circulation entre les marais et létang, entre
deux marais ou entre deux étangs.
- elle est proche de ces villages car ceux-ci étaient placés à
la limite du marais et de létang, sur des sortes dîlots.
- elle peut être facilement surveillée et est peu exposée
aux intempéries.
- elle permet la pêche despèces fortement représentées
dans cette partie de létang, notamment muges et anguilles.
- elle fonctionne comme un véritable vivier, le poisson prisonnier dans
des chambres continuant à vivre dans son milieu, le pêcheur ne
prélevant que la quantité de poisson voulue.
- elle sétablit au mois de juillet et fonctionne tout lhiver,
assurant la nourriture en une période de lannée plutôt
rude, avantage non négligeable.
Lévolution de la bordigue aboutit certainement à la mise en place des maniguières, chaînes de bordigues, au Moyen-Âge, qui permirent dexploiter une autre partie de létang, mais faisant appel pour leur fonctionnement non plus à un individu mais à un groupe dindividus associés dans cette exploitation de type "capitaliste" à fort rendement, tout en restant en sécurité, évitant le côté aventureux et dangereux de lexploitation de pêcheries en mer.
Au gisement archéologique de la Rallongue (Lansargues), les fouilles ont permis de retrouver dans les passages entre les marais nord et sud des installations qui ne peuvent être que les vestiges dune bordigue, ainsi que la preuve de lexistence de la mytiliculture dès lâge du Bronze (vers 1500 ans avant JC)
La lagune de Comacchio est située au sud de Venise dans le delta du Pô. Elle est divisée par des digues en un certain nombre détangs ou valli dans lesquels se pratique depuis un temps immémorial lélevage de nombreux poissons littoraux (loups, muges, sars, dorades) et surtout danguilles. Les pêcheries fixes ou lavorieri sont installées aux issues des canalisations vers la mer. Lauteur de cette étude L. BERTIN, affirmait dautre part que des bordigues de notre littoral méditerranéen et les fameux lavorieri de lAdriatique pouvaient prendre jusqu'a 10 tonnes danguilles au cours d'une nuit favorable entre octobre et décembre lors de leur migration reproductrice.
Henri PRADES Journal communal de Lattes, Mars 1985 n° 27.
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