UNE STATUETTE DE MERCURE À LATTES (Hérault)

 

Cet article, signé Henri Prades et René Majurel, est paru dans les "Cahiers Ligures de préhistoire et d'archéologie" - publiée par les Sections Françaises de l'Institut International d'Etudes Ligures - N° 21, 1972, pages 149-150 (réédité en 1975).

 

En 1965, l'un de nous, Henri Prades a recueilli en surface sur le site de Lattes, la Civitas Latera de l'anonyme de Ravenne, la petite statuette en bronze de Mercure, dont nous présentons ci-dessous trois photos dues à Maurice Maréchal (fig. 1, 2 et 3). Cette statuette mesure trois centimètres de hauteur et repose sur un piédestal quadrangulaire de l'ordre de deux millimètres d'épaisseur. Le Dieu est représenté nu, une légère chlamyde pendant de l'épaule gauche, dans le dos, jusqu'à la naissance des cuisses. Il s'appuie sur la jambe droite placée en avant, la gauche étant légèrement repliée, en arrière. Le pied, talon haut, ne repose sur le sol que par les orteils. Talonnière ailée à la jambe gauche. Le bras gauche, replié le long du corps, main à hauteur du bassin, soutient le caducée.. Les serpents, brisés, ont disparu. De leur enlacement ne subsiste qu'un lambeau, à la partie supérieure du bâton. Le bras droit, qui, tendu en avant, devait tenir la bourse est cassé à hauteur des seins. Le Dieu est coiffé du pétase ailé. Sur le socle, entre ses pieds, la tortue.

La dévotion des peuples de la Gaule pour Mercure n'est plus à rappeler. Le Dieu trônait dans son sanctuaire sur un des plus hauts sommets arvernes : le Puy de Dôme et, César, arrivant en Gaule, fut frappé de l'importance de son culte auprès des indigènes :

 

 

RENE MAJUREL - HENRI PRADES

" Les gaulois honorent en premier lieu Mercure. Ses statues sont les plus nombreuses. Ils font de lui l'inventeur de tous les arts, le créateur des voies de communication. Ils lui accordent toute confiance dans la recherche du gain et la protection des marchands " (1). L'archéologie confirme cette dévotion. Lorsqu'il a étudié les bronzes de la Gaule Romaine, conservés au Musée des Antiquités Nationales, Salomon Reinach a constaté que Mercure arrivait largement en tête de la liste des figurations divines, avec un total de vingt neuf statuettes (2).

Le type de représentation le plus couramment employé en Gaule est celui du Mercure debout niais les exemplaires en sont très variés selon que se fait sentir l'influence des modèles grecs (l'Hermès hellénique apparaît sous les traits d'un jeune homme nu, athlétique, présentant peu ou point d'attributs cultuels), on selon que le réalisme indigène reprend ses droits en multipliant, dans un but pratique, les attributs du Dieu. Nous retrouvons, dans notre exemplaire, des éléments de ces deux tendances. L'influence des modèles grecs apparaît, comme c'est le cas pour la plupart des représentations gallo-romaines de Mercure, dans l'attitude du personnage qui imite celle de l'Hermès Polyclétéen. On s'accorde à penser que le bronze de la collection Dutuit, conservé au Petit Palais est une réplique exacte de l'œuvre du célèbre statuaire: Ephèbe au corps vigoureusement musclé reposant sur la jambe droite posée en avant, la gauche étant légèrement repliée en arrière. Dans la statuette de Lattes, le corps de Mercure offre une vigueur certaine avec le relief accusé des pectoraux et des abdominaux niais nous notons également un alanguissement dans le mouvement des jambes qui affadit l'attitude et dénote la main de l'artiste gaulois. D'autre part, la profusion relative des attributs paraît nous éloigner de la simplicité des modèles grecs et nous ramener à des préoccupations indigènes.

Ici le Dieu porte le caducée, la baguette du pâtre, offerte par Apollon, symbole de l'Hermès pastoral protecteur des troupeaux, et les serpents enroulés, attributs des divinités chtoniennes (en même temps qu'un Dieu de la Fécondité, l'Hermès grec, Dieu psychopompe, conduisait les âmes des morts dans l'au-delà). La bourse, qu'il devait tenir dans la main droite, le désigne comme le Dieu des marchands, du commerce et du gain. Messager des Dieux, il porte la talonnière ailée. Enfin la tortue à ses pieds, nous rappelle "Hermès, le jour de sa naissance, la rencontra dans une prairie. Après l'avoir dépouillée et avoir transformé sa carapace, recouverte d'une peau de bœuf, en caisse de résonance, il tendit sur elle sept cordes faites de boyaux de brebis et inventa ainsi la lyre, instrument qu'il devait abandonner quelques instants plus tard à Apollon pour se faire pardonner un rapt de bétail.

Tous ces attributs réunis nous donnent une image assez complète de Mercure, Dieu pastoral, Dieu de la musique, divinité chtonienne et peut-être, parce que les âmes des morts hantent les carrefours, devenu de ce fait Dieu des routes, puis du commerce et des marchands, messager de l'Olympe sur tous les chemins du monde. La statuette, oeuvre d'un artiste indigène, nous paraît pouvoir être rapportée à un des deux premiers siècles de l'ère chrétienne, âge d'or du Lattes gallo-romain.

L'agglomération de Lattes, avec ses mille ans d'occupation humaine, constitue une admirable table des matières de l'histoire pré-romaine et romaine de la Gaule méridionale. Il était presque fatal, dans ces conditions, qu'elle nous offrît, dans l'unique statuette rencontrée à ce jour, sur son sol, le visage. du Dieu le plus populaire de la Gaule.

RENE MAJUREL - HENRI PRADES

(1) CAESAR, Bello Gallico, VI, 17.
(2) SALOMON. REINACH, Description raisonnée du Musée de St-Germain-en-Laye. Bronzes figurés de la Gaule romaine, p. 64.

 

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