LETTRE À RENÉ MAJUREL,

Montpellier, le 05/06/1964

 


Mon cher ami,

Merci pour le livre de Villard. Je vais essayer d'en faire rentrer le plus possible dans ma petite cervelle. Puisque vous avez été très gentil, je vais vous payer par la présente, en vous mettant au courant des derniers événements. Il est bien entendu que c'est à titre de récréation, car vous allez me reprocher de "les" prendre au sérieux, ce qui n'est pas le cas, et de "perdre mon temps", ce qui l'est peut-être. Voilà :
Le jardinier exigeant 30 000 F de sous-location pour me réserver une parcelle pour continuer la fouille (parce que j'avais, par mon sondage, rendu impossible les semis de 9 courgettes), j'ai bouché le sondage car j'ai (à tort) pensé que 3 333 F la courgette, ça faisait cher. Là-dessus, Richard est arrivé et, bien qu'ayant visité la veille en mon absence ma fouille, ne m'a pas quitté d'une semelle pendant le travail de remplissage. Je ne sais si je dois lui adresser des excuses pour n'avoir pas eu une deuxième pelle pour qu'il puisse s'appuyer, car il avait l'air fatigué ! Il est resté tout le matin à me réciter par coeur le décret de Pétain de 1941 ("nul n'est autorisé à pratiquer, même un sondage, même chez soi…"), et il répétait toutes les cinq minutes "C'est la loi ! "", et moi je rigolais, je rigolais, et ça ne lui plaisait visiblement pas. Je rigolais parce qu'il a tourné en rond tout le matin devant un fond d'amphore étrusque, sans voir ce que c'était !

- "Bref, qu'il me dit, vous bouchez votre soi-disant sondage qui est une véritable fouille ! N'en ouvrez pas un autre et voyez Mr Gallet de Santerre (Directeur des Antiquités à Montpellier), sinon vous aurez des ennuis". (Oui mon cher, des menaces très précises). Là-dessus, Gallet me convoque et notre ami, le docteur Arnal, a la trouille d'être pris entre l'enclume (Gallet) et le marteau (moi, puisque l'article a démontré que je le suis, marteau). J'y vas et, à force de gymnastique, j'atteins Gallet dans son bureau. Je vous décrirai de vive voix cette entrevue qui ne peut être relatée sans nos gestes méridionaux. Gallet est dans une colère folle et m'attaque d'emblée sur le fait qu'il corrige des copies pendant dix heures par jour, comme si j'y étais pour quelque chose ! Et de me reprocher l'article qu'il va chercher dans un tiroir. "Et tout Montpellier en a rigolé, et moi le premier, (tu parles, on n'avait qu'à le regarder ! ) le Lez, fleuve Étrusque peuh ! Et vous me traitez d'andouille car l'État, c'est moi (sic) etc. etc.". À quoi je réponds, sans perdre mon sourire (car, je buvais du petit lait). "Excusez-moi si je vous ai peiné, mais je suis pauvre et n'ai jamais reçu un centime de l'État pour mes recherches. Je suis d'autant plus à mon aise pour reconnaître que l'article est idiot que j'en suis l'auteur. Mais, comme je n'ai pas 30 000 F pour obtenir une photo aérienne, j'ai trouvé ce procèdé économique pour l'avoir pour rien. (J'aurais pu ajouter Mr Richard m'ayant dit qu'il n'avait pas les moyens de faire de la photo aérienne "à tort et à travers"). Or, cette photo m'a donné avec certitude l'emplacement du canal Lez-gisement et le port contigu au gisement, une paille, comme vous voyez". Il repart.

- "Et qu'est-ce qui vous autorise à croire que, cette photo, nous n'aurions pas pu la faire nous-mêmes ?… Et votre histoire de pompe, je l'apprends par les journeaux". (À quoi je pouvais répondre que Richard avait assez pataugé dans le premier sondage pour savoir que les couches intéressantes étaient sous l'eau, mais que, s'il m'inspecte très régulièrement, il ne m'a jamais proposé une pompe, dont pourtant je lui ai parlé sans arrêt. Alors, je lui dis : "Faites entrer Mr Richard qu'on s'explique entre hommes". Il le fait entrer et lui dit :

- "Voilà la situation. Mr Prades va déposer une demande légale de fouille avec la signature du propriétaire. Si le propriétaire refuse de signer d'ici quelques jours, il nous écrira une lettre pour nous dire que le propriétaire se prépare à défoncer cet hiver avec des engins plus puissants, qu'il estime que le gisement est en péril et, comme c'est un gisement important, nous entamerons une procédure de classement".

- "Eh ! , que je lui dis, vous oubliez l'essentiel. EN ATTENDANT, qu'est-ce que je fais ? "

- "Vous pouvez reprendre vos fouilles, il n'a jamais été question de vous arrêter !!!" Et, là-dessus, il me f... dehors.
Nous reparlerons sans doute de cette séquence. Et ne me dites surtout pas qu'elle est inutile. C'est très instructif et reposant des séances comme ça. Le résultat immédiat, c'est que, de là, on est allé à la Condamine, et on a ramassé quelques pièces de plus. Vous voyez que ça vous a rapporté !

Bye, bye (je suis en classe !!)
Signé H. Prades

 

La famille Prades est propriétaire des textes et des photographies publiées sur le site.

© Copyright 2001 ADPLL