(Extraits de Les écrits d'Henri Prades à paraître.)


LA FIBULE HISPANIQUE DE LA COUGOURLUDE

Les collections archéologiques de la commune de Lattes viennent de s’enrichir d’une pièce de musée découverte par le groupe Painlevé à la Cougourlude. Depuis 15 ans, j’étais persuadé que la nécropole correspondant au niveau 9 de Lattara (VI° - V° siècle avant J.-C.) devait se trouver près de la route de Fréjorgues, à la Cougourlude, parce que j’avais découvert là des tessons d’amphores étrusques de la même époque.


L’an dernier, en plus des documents déjà découverts indiquant que la Cougourlude avait été habitée au moins dès le quatrième , sinon le cinquième siècle avant J.-C., jusqu’à la période gallo-romaine, nos jeunes, en prospectant dans le fossé récemment ouvert à la pelle mécanique,

au bord du lotissement, côté Est, devaient recueillir un vase indigène grossier écrasé par la pelle, au milieu d’une terre cendreuse recouverte de galets. Ce vase resta dans sa boîte, au milieu de centaines d’autres en instance de nettoyage, provenant du sondage en cours, près du terrain de football.


Il revenait à Mme Prades qui, depuis un an, a accepté le travail obscur et fastidieux de nettoyage des tessons, de découvrir au milieu de la motte de terre contenue dans le vase brisé, quelques ossements brûlés et un objet qui, s’il est en fer, est dans un état de conservation stupéfiant: il s’agît d’ une fibule hispanique datée, par la forme de la tombe, sa conception et par la typologie de l’objet lui-même, du VI° ou au début du V° avant J.-C. Sa découverte est, scientifiquement, assez importante pour que l’administration ait sur le champ, ouvert un crédit de 5000 F, c’est à dire autant qu’en 15 ans de recherche du Groupe Painlevé sur Lattara.

 

- FIBULE HISPANIQUE DE LA COUGOURLUDE -


Il y a d’abord l’objet : il s’agit d’une fibule, espèce d’épingle de sûreté, formée d’un anneau de métal, traversée diamétralement par une aiguille (ardillon) très sophistiquée, dont la pointe s’engage dans la gorge d’une partie en arc perpendiculaire au plan de l’anneau, tandis que l’autre extrémité est une combinaison savante d’enroulements organisant à la fois la fixation et le ressort. La plus grande partie de l’anneau est pourvue de fils enroulés imitant des ressorts, mais qui servent, en réalité, outre leur rôle décoratif, à consolider l’ensemble.


Il y a ensuite, l’aspect scientifique de la découverte, bien située en chronologie, grâce aux travaux considérables de nos amis Odette et Jean Taffanel de Mailhac (Aude). Tous les archéologues connaissent bien les tombes dites du type de Grand Bassin, de Mailhac. La Direction des Antiquités vient de fouiller une nécropole de ce type à Agde. L’intérêt vient surtout du fait que c’est en général, dans ce type tombes qu’on trouve du mobilier ou sont mêlés vases Étrusques et Grecs archaïques, c’est à dire l’aube des "Civilisations" modernes, en Languedoc. Mais d’autre part, ce type de nécropole n’avait jamais été découvert près de Montpellier.


Enfin la fibule hispanique de ce type est un document très rare. Vraiment comparables à celle de la Cougourlude, on ne peut guère citer, en France que les fibules de la tombe 232 de Pézenas, datée du début du V° siècle, de la Monédière de Bessan (ou a été aussi trouvé du mobilier Étrusque) et du Pic d’Ysson, qui domine la plaine de Limagne d’Issoire. On peut y ajouter les fibules de Nissan et de Mailhac et, plus loin encore du monde hispanique, celles de Laufendburg (Suisse), de Chamutov (Tchécoslovaquie) et de Campanie, ces trois dernières ayant une position géographique surprenante, car toutes ces fibules proviennent d’Espagne maritime du Sud et je ne serai pas le premier à évoquer, à ce sujet le rôle de l’énigmatique Tartessos de l’Antique ville légendaire, à l’embouchure du Guadalquivir, ou les Phéniciens navigateurs bien connus, devaient fonder une ville.


Lattes devient du coup, la pointe la plus avancée, connue a ce jour, du commerce (Phénicien, Étrusque, ou tartessien ?), depuis l’Espagne du Sud, en direction du Golfe du Lion et ce, une fois encore AVANT le développement de Massalia. Une nouvelle fois, Lattes confirme que les introducteurs des progrès méditerranéens en Languedoc n’ont pas été contrairement à ce que l’on a toujours dit et écrit, les Grecs, mais une famille de commerçants navigateurs à diverses composantes (Phéniciens, Étrusques, puniques, tartessiens) qui connaissaient la Méditerranée comme leur poche. La carte de répartition des fibules annulaires hispaniques en dit plus qu’un long discours sur ce qu’avait dû être la dynamique tartessienne.

Printemps-été 1979.


Les thermes de Latara.

Il y a bientôt 25 ans, prospectant les vignes de M BEAUX, dans la zone occupée aujourd’hui, par les Filiès, je notais partout la présence de tessons d’amphores Étrusques. Une surveillance constante de tous les travaux concernant ces terrains, tant agricoles que d’ urbanisations, nous a permis de découvrir, outre la statue en marbre qui est au musée, statue recueillie par M OFFROY, des emplacements de meules enfouies à 4 m. de profondeur, des murs, un silex moustérien entraîné par la Lironde, des amphores et des vases pré-romains, de la céramique attique à figures noires (VI° siècle avant J.-C.) bref de quoi espérer un bon avenir archéologique.


Après un quart de siècle de patience, nos voeux sont enfin exaucés. La Commune ayant acheté la zone inondable de la Cougourlude, en accord avec M Vaillat (alors le Maire de Lattes - NDW), je procédais à une rapide enquête a la pelle mécanique (prospection autorisée par la direction des Antiquités, du 15 au 30 fevrier). Le résultat de cette enquête a été tel que, plongeant notre ami NICKELS, Directeur des Antiquités, dans le plus grand embarras, j’ai continué, dans des conditions discutables il faut bien le dire mes recherches. Chaque potron-minet de l’été 1987 m’a vu sur le terrain.
Qu’on juge des résultats, même sommairement exposés.


La présence de thermes ne fait plus de doute. L’emplacement de la salle de chauffe, avec la base des pilettes encore en place et de nombreux tubuli (briques creuses servant de cheminées, incorporées dans des murs) a pu rapidement être précisé. Le potier qui fabriquait ces tubuli s’appelait CAIUS VIRIUS CLEMENS. On connaissait 5 briques ainsi, marquées par ce potier ; la Cougourlude en a donné déjà 3 de plus, c’est à dire plus qu’à Lyon. Une brique rouge et une tuile portent aussi une marque.


Lors de la destruction de la Cougourlude, datable, d’après une monnaie des environs de 312 (l’Empereur MAXENCE a régné de 306 à 312) on a jeté toutes les ruines dans la Lironde, qui passait alors au beau milieu du champ, ce que je savais, avant d’entre prendre mes sondages, d’après la belle photo aérienne qui se trouve dans la salle de réunion de la Mairie; Cette Lironde est devenue, du fait de ce comblement un véritable dépotoir, le rêve des archéologues.


La Direction des Antiquités, m’ayant interdit de continuer à dégager les murs des thermes, a bien voulu me laisser continuer mes prospections sur le canal ; la simple énumération des objets trouvés remplirait cette page : fragments, de chapiteaux, aile en marbre, morceaux de colonnes, plaquettes de marbre, verres de toutes sortes (dont du verre de vitre, inconnu à Lattara ou presque, très abondant à la Cougourlude, ce qui permettait d’atteindre 55 degrés à l’intérieur, par association avec les tubuli, lampes, médaillons d’ applique, une quantité étonnante d’objets en plomb, en fer, en bronze, bijoux cloisonnés, fibules, bagues ,dès et jetons de jeux, une imitation d’amande en os marquée de chiffres romains, un peigne à carder, aiguilles et épingles en os ou en métal, monnaies du Ier au IV° siècle, signatures de potiers de la Graufesenque ou de Betique (Espagne), cloches, clefs, peson de tisserand, côte de baleine (rorqual commun de Méditerranée), triton, encore appelé trompe, gros coquillage marin à l’origine de la trompe, serpe, couteaux, charnières, protège - cachets de cire...


Mais voilà, la mariée est trop belle. j’ai reçu de l’ami NICKELS, Directeur des Antiquités, une lettre dont je livre aux Lattois quelques mots; "Je souhaite que vous mettiez un terme aux sondages ; je ne suis pas favorables à un tel projet..." (une demande de fouilles officielles de ma part) ou encore : "Connaissant votre attachement au site de Lattes et votre passion pour les recherches de terrain, je sais que ma décision vous peinera beaucoup et j’en suis navré."
Le dilemme pour moi, est désormais le suivant : M NICKELS m’a donné de telles preuves d’amitié qu’il n’est pas question de compliquer sa tâche. Or, j’en suis certain, la Cougourlude n’a montré que la partie émergée de l’iceberg. Mais nous disposons d’ores et déjà, d’assez d’éléments pour renforcer ma thèse selon laquelle la Lironde est un bras de l’ancien delta du Lez dont elle porte le nom (comme le lirou et le mot de Lattes lui-même). Ma passion pour les recherches de terrain a un but précis : éclaircir la genèse géologique de la plaine de Lattes en m’aidant d’éléments archéologiques. Après les "Terramares" et Lattara, me voici sur la touche une nouvelle fois ?
On va donc faire une réserve archéologique de la Cougourlude. En clair, on n’y fera plus rien car contrairement à ce que croit le grand public, les moyens donnés aux archéologues vont en sens inverse de la croissance des besoins ; on a envie d’ écrire un article qui pourrait s’intituler "le sida archéologique français".


Il y a un autre aspect à la question : des enseignants, toujours plus nombreux, se tournent vers Lattes pour appuyer leur enseignement. Des petits déshérités de la Solidarité Départementale, des enfants de Saint-Pierre se rééquilibrent sur le terrain de fouille de la Cougourlude. Faut-il arrêter toutes ces activités à portée sociale ? Décidément, à Lattes nous sommes trop riches...

OCTOBRE1987

1987... "Henri ne fouille plus guère, faute d’autorisation... mais il arrive tout de même à "gratouiller" à la Cougourlude sur un terrain communal. Il exhume une villa avec des thermes - les hypocaustes - où les tubuli sont signés Caïus Virius Clemans. A côté, il repère un canal sur trente mètres. Quelque temps plus tard, il découvre un moulin hydraulique de type "sous la roue". Il s’agît d’un moulin dont la force sert à tailler les plaques de marbre (entre autres)..."

(Extrait de l'ouvrage De Bir-Hakeim à Lattara... 11 Octobre 1920 - 11 Mai 1989 de MARGUERITE PRADES)

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