UN INSTRUMENT EN PIERRE POLIE
DE LA STATION DE LA CONDAMINE (Saint-Aunès, Hérault)

 

Cet article, signé Henri Prades et René Majurel, est paru dans les "Cahiers Ligures de préhistoire et d'archéologie" - publiée par les Sections Françaises de l'Institut International d'Etudes Ligures - N° 21, 1972, (réédité en 1975).


La station de la Condamine, commune de St-Aunès (Hérault) est une station dit chasséen récent. Elle est située en bordure du fleuve côtier : La Cadoule, sur une légère élévation de sa rive droite, à quelques kilomètres de l'embouchure de ce fleuve et de l'étang de Mauguio (*).

Découverte par nous en 1958, elle a livré, depuis cette date, à la prospection de surface des milliers de documents. Celui que nous présentons ici n'est pas le moins intéressant. Il s'agit d'un instrument poli, en forme de hache, en roche dure, mais de dimensions tellement réduites que lorsque nous le ramassâmes, nous crûmes d'abord avoir affaire à un petit éclat détaché d'une micro-hache. Pourtant nous sommes bien en présence d'un outil achevé et intact, à l'exception d'une légère échancrure du talon, due à quelque choc ancien (fig. 1 et 2, à droite).

 

 

Cet instrument, admirablement poli sur les deux faces est à tranchant convexe assez accusé. Ses dimensions: 2,4 cm dans sa plus grande longueur, 1,6 cm de large au tranchant et malgré la difficulté d'évaluation due à l'échancrure dont nous venons de parler, environ 0,4 cm de, large au talon, sont déjà fort intéressantes en elles-mêmes: la pièce tient à l'aise sur la surface d'un de nos timbres-poste actuels, à 40 centimes. Pourtant son principal intérêt réside ailleurs. Elle mesure en effet 1 mm d'épaisseur, ce qui doit constituer un record du genre. Au chapitre des instruments polis, la station de la Condamine avait déjà livré deux haches, quinze micro-haches, un polissoir et un fragment de ciseau (tous en roches dures). Mais rien de comparable à l'instrument que nous présentons ici.


Monsieur Louis Escuret et Monsieur Emile Barrès nous ont confirmé que sur les stations voisines de celles de la Condamine, à savoir la station de Montbeyre (commune de Teyran) près de la source de la Cadoule, et celles du Salaison, stations qui ont livré à la fouille et à la prospection de surface des milliers d'instruments, aucun objet comparable à celui de la Condamine n'a été retrouvé. Par ailleurs la station de la Madeleine (grotte et gisement de surface) n'a rien fourni de semblable. Deux objets de dimensions aussi réduites et même inférieures ont par contre été signalés par Pannoux dans les stations des Matelles: une hache polie en serpentine de 2 cm de long, 1,5 cm de large et 9 mm d'épaisseur a été trouvée au Bois Martin (1). Par ailleurs une herminette en roche basaltique mesurait 1,45 cm de long et 4,5 mm d'épaisseur (2). Si ces deux pièces offrent des dimensions inférieures à celles de l'instrument de la Condamine, elles n'approchent en rien son épaisseur qui atteint, avons-nous dit, à peine le millimètre. Quelle pouvait-être la destination de cet objet?

Nous ne retiendrons pas la dénomination de hache votive. Mais celle de pendeloque serait plus tentante. Dans son ouvrage sur les origines de Narbonne, Philippe Héléna a publié une pendeloque, en serpentine verte, trouée, qui mesure environ 2 cm de long (3). Or si nous regardons une des faces de notre pièce (fig. 2), il semble bien que nous y apercevions comme un début de perforation. Un examen attentif ne permet pas toutefois de conclure à la perforation intentionnelle. D'autres roches de la Condamine présentent ces légères cupules dues peut-être à l'action d'agents naturels. De plus, l'examen à la loupe permet de déceler sur le tranchant, de légères ébréchures, des esquilles d'utilisation, qui prouvent que cet objet a servi d'instrument et n'a jamais eu de destination cultuelle. Nous ne retiendrons pas davantage la dénomination de hache-jouet. La réduction de taille peut nous surprendre. Elle ne doit pas nous amener à priver cette pièce de sa destination d'instrument. Par ailleurs, étant donné sa taille, il est exclu de penser qu'elle ait pu remplir quelques unes des fonctions habituelles de la hache. Ce n'est pas une micro-hache (la comparaison avec d'autres micro-haches de la station de la Condamine, devrait suffire à nous éclairer (fig. 1 à gauche). Peut-on prononcer davantage à son sujet le terme d'herminette? Il ne semble pas. La section de son tranchant ne présente aucune assymétrie. Par conséquent, il faut admettre qu'un projet d'utilisation particulière bien déterminée, a entraîné la fabrication de cette pièce. Nous avions pensé un instant à une pointe de flèche tranchante: sa forme triangulaire, la faiblesse de ses dimensions, son tranchant acéré, une minceur facilitant l'emmanchement permettaient de l'assimiler à certains exemplaires du chasséen méridional (fig. 2 à gauche).

Convenons toutefois qu'une telle utilisation bouleverserait toutes les notions acquises en matière de fabrication de pointes de flèches. Ce n'est pas le, critère de rentabilité, l'instrument poli étant de fabrication plus longue que l'instrument taillé, qui nous gênerait le plus. Certaines pointes de flèches du chasséen méridional ont réclamé plus de travail de la part de l'artisan que n'a dû en coûter le polissage, de cet éclat de roche dure. Mais c'est la minceur de l'objet qui s'opposerait petit-être à son utilisation en tant qu'instrument de chasse. L'homme préhistorique devait veiller à la robustesse de sa pointe de flèche car il tenait à récupérer les munitions le plus longtemps possible. Or cet instrument, d'une minceur de feuillet, est fragile sur tout son corps.

Resterait la solution du petit tranchet, du micro-tranchet solidement emmanché, instrument pour tracer des rainures dans le bois, fendre l'écorce des branches, travailler les peaux et le cuir, bref accomplir tous les menus travaux réclamés du tranchet classique.

Dans l'ignorance où nous sommes de l'utilisation précise de la plupart des outils préhistoriques nous ne pouvons ici que formuler des hypothèses. Nous n'en avons pas moins tenu à présenter ce petit instrument, autant à cause de sa rareté dans le chasséen méridional qu'à cause des problèmes que sa destination pose.

RENE MAJUREL - HENRI PRADES


(*) RENE MAJUREL et Henri PRADES, La station de La Condamine (St-Aunès, Hérault), dans Gallia Préhistoire, 1967, 1, pp. 225-236.
(1) PIERRE PANNOUX, Une très petite hache polie, dans Revue d'Etudes Ligures, 1950, p. 224.
(2) PIERRE et CLAUDE PANNOUX, La hache polie dans la région des Matelles, dans Cahiers Ligures de Préhistoire et d'Archéologie, 1955, p. 141.
(3) PHILIPPE HELENA, Les origines de Narbonne, 1937, p. 89, fig. 51, no 32.

 

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